Jeunes rencontrant des associations d'aide aux migrants lors d'un voyage à la frontière franco-italienne organisé par la FUCID

Faire de l’éducation permanente « universitaire » ?

par Stéphane Leyens
Directeur de la FUCID

« Faire de l’éducation permanente "universitaire" ». Voilà une assertion qui s’apparente à de la provocation, voire à un oxymoron, tant l’éducation permanente et l’enseignement universitaire semblent fortement différents : d’un côté, un apprentissage s’appuyant sur l’expérience vécue, en partie déterminée par des rapports de domination, d’un public « populaire » [1]« L’enjeu de l’éducation populaire aujourd’hui, au niveau local et mondial, est de permettre aux citoyens et citoyennes d’articuler trois repères, à savoir, l’expérience vécue, l’apprentissage lié à cette expérience et les rapports de pouvoir dont ils/elles sont victimes. » … Continuer de lire ; de l’autre, une éducation avant tout basée sur la transmission d’une connaissance savante par des experts, à un public destiné à devenir l’« élite » de la société.

Pourtant, en s’engageant dans des projets d’éducation permanente, notre ONG universitaire – la FUCID – a la conviction que faire de l’éducation permanente et populaire sans trahir ni le projet d’éducation permanente, ni la spécificité universitaire de l’ONG n’est pas une gageure, mais un beau défi : celui de faire, ce que j’appelle ici, de l’éducation permanente « universitaire ».

Comment comprendre cette idée d’« éducation permanente "universitaire" » ? Une réponse courte, qui ne pourra nous suffire mais qui est un bon point de départ, est celle-ci : il s’agit d’un projet d’éducation permanente, avec ses méthodologies, ses thématiques et son public-cible propres, qui s’articule aux autres activités de l’ONG universitaire qui le porte – en l’occurrence la FUCID. La réponse longue, et plus informative, devra préciser comment articuler des activités d’éducation permanente aux autres activités d’une ONG spécifiquement universitaire, implantée sur un campus [2]Notons que l’espace d’activité de la FUCID ne se limite pas au campus de l’Université de Namur, mais inclut les Hautes Ecoles de la ville de Namur. et dont le public premier est composé des étudiantes et étudiants, mais aussi du personnel (enseignant, chercheur, ouvrier et administratif) de l’UNamur et des Hautes Écoles de Namur. Cette analyse vise à contribuer à la formulation d’une telle réponse.

Afin de préciser comment notre ONG peut porter, en cohérence avec son identité, un projet d’éducation permanente, il est utile de bien saisir ce qu’est sa spécificité universitaire. Notre intention ici est de montrer qu’au-delà des préjugés concernant l’élitisme de l’université bien installée dans sa tour d’ivoire, il y a place pour un processus d’éducation permanente dans le milieu universitaire.

ONG universitaire : quelles spécificités ?

Le caractère universitaire de notre ONG est un sujet d’attention constant au sens où il est constitutif de notre identité. Le texte décrivant la vision et les missions de la FUCID souligne l’ancrage universitaire de l’ONG comme suit :

Créée par et pour la communauté universitaire de l’UNamur, la FUCID a été conçue comme un instrument au service de la cause du développement et de la solidarité au sein de l’université. […] Sa vision et ses missions s’enracinent dans la vision plus globale de l’université elle-même telle qu’on peut la lire dans la Charte de l’université : « Dans un esprit de promotion de la justice sociale, elle accorde un souci particulier à ceux que l'histoire humaine a rendus pauvres, fragiles, opprimés ». La FUCID participe à l’objectif global de l’université, à savoir former des acteurs responsables de la société, engagés dans la promotion d’un monde plus juste et solidaire où se déploient les valeurs de liberté, démocratie, responsabilité citoyenne, tolérance et paix. [3]« Vision et Mission de l’association sans but lucratif “Forum Universitaire pour la Coopération Internationale au développement” », Décembre 2014. Voir : https://www.fucid.be/vision-et-mission-de-la-fucid/, consulté le 26 mai 2020.

Ce texte permet de souligner un aspect essentiel de l’éducation universitaire dont ne rend pas compte l’opposition simpliste – mais qui a la vie dure – évoquée ci-dessus entre, d’un côté, une éducation par l’expérience, de type bottom-up, attentive aux inégalités sociales et rapports de pouvoir et, de l’autre côté, un système éducatif d’experts, élitiste et de type top-down : cet aspect essentiel de l’éducation universitaire tient à ce que l’université – telle que l’UNamur – se donne aussi pour mission de former des citoyens responsables, interpellés par les injustices sociales, les défis environnementaux et les relations entre pays du Nord et du Sud. Une ONG universitaire a précisément un rôle important à tenir dans cette mission de « responsabilité citoyenne » de l’université, en sensibilisant la communauté universitaire à des questions de justice sociale et globale et en l’invitant à s’engager, maintenant et dans le futur, en faveur des personnes et des communautés les plus démunies.

Aussi, l’éducation universitaire en ce sens élargi, à laquelle participe la FUCID, n’est pas incompatible avec des formes et des contenus d’apprentissage propres à l’éducation permanente ; bien au contraire, on est persuadé que la FUCID, en tant qu’ONG universitaire, gagne à développer une collaboration de complémentarité avec l’éducation permanente afin de mener à bien sa mission.

Avant de revenir sur l’inscription du processus d’éducation permanente dans une ONG universitaire, voyons de plus près quelques aspects de la spécificité des ONG universitaires, non plus du point de vue des textes fondateurs, mais en donnant la parole aux acteurs eux-mêmes : membres des ONG universitaires et personnel enseignant et chercheur de l’université.

Spécificité universitaire et échange de savoir : résultats d’une enquête

Uni4Coop, le consortium d’ONG universitaires dont fait partie la FUCID [4]Depuis 2016, le consortium Uni4Coop réunit les quatre ONG universitaires francophones belges (Eclosio pour l’ULiège, la FUCID pour l’UNamur, Louvain Coopération pour l’UCLouvain et ULB-coopération pour l’ULB)., a récemment mis en place un chantier de réflexion sur les spécificités universitaires de ses activités et de son identité [5]Le chantier s’est tenu d’octobre 2019 à avril 2020 et a été mené par un groupe de pilotage composé de membres des équipes des quatre ONG.. Dans ce cadre, nous avons réalisé une large enquête auprès de membres des ONG et de membres du personnel des universités dont l’objectif était de brosser un tableau des expériences de collaboration entre les ONG universitaires et les universités, à la fois au Nord et au Sud. Au final, l’enquête visait à cerner comment les acteurs des ONG et de l’université percevaient la spécificité universitaire des quatre ONG, d’un point de vue descriptif (ce qu’elle est aujourd’hui) et prescriptif (ce qu’elle pourrait et devrait être) : quelles sont les dimensions de leurs activités qui sont caractéristiques de leur ancrage universitaire et qui les différencient d’autres organisations non-universitaires ?

Les qualifications qui ont été exprimées dans cette enquête ont pu être regroupées sous cinq bannières, qui déclinent la spécificité universitaire [6]Je choisis librement quelques-unes des qualifications exprimées qui rendent compte du sens des quatre « bannières » ; ce compte-rendu n’est bien évidemment pas exhaustif. La source est un document de travail interne, non publié.. Premièrement, l’ONG universitaire est une « entremetteuse » : elle crée, facilite et entretient les liens entre les acteurs académiques du Nord et du Sud et les acteurs de la société civile ; elle mobilise les savoirs des un·e·s et des autres pour soutenir des thématiques de développement. Deuxièmement, elle est « érudite » : elle met en œuvre ses actions sur des bases objectivées scientifiquement : connaissance du contexte d'intervention, des approches, de la méthodologie, des moyens prévus ; elle promeut l'esprit critique. Troisièmement, elle est « ancrée dans l’université » : elle est présente sur le campus ; elle co-identifie des projets avec les universitaires, qui peuvent en assurer le suivi et l’évaluation, et co-organise des conférences avec son université ; elle sensibilise la communauté universitaire à des problématiques relatives aux relations Nord-Sud. Quatrièmement, elle est « innovante » : elle propose des méthodologies nouvelles ; elle explore de nouvelles pistes de coopération et favorise une approche multidisciplinaire et multi-partenariale. Enfin, elle est « engagée » : elle participe aux débats de société et contribue aux réflexions de son université sur des questions de développement ; elle met en débat des enjeux de société auprès des étudiants et étudiantes, et membres de l'université.

Les qualifications exprimées, et regroupées sous les quatre « bannières », ont ensuite été soumises aux membres des équipes des ONG pour un exercice de pondération et de priorisation : quelles sont les qualifications les plus importantes, eu égard à la spécificité universitaire de nos ONG ? Sur la base des résultats de cet exercice (en retenant les qualifications qui ont fait la quasi-unanimité quant à leur importance), le groupe de pilotage a proposé une description de la mission d’Uni4Coop, en ce qui concerne sa spécificité universitaire, à savoir : favoriser et renforcer (1) le partage et la gestion des savoirs, (2) une approche critique du développement, (3) l’innovation, et (4) une dynamique interactive entre l’action, la recherche et la formation.

Le groupe de pilotage a estimé que le partage et la gestion des savoirs devait retenir son attention en priorité, comme étant une mission absolument essentielle de nos ONG en tant qu’elles sont spécifiquement universitaires.

Responsabilité citoyenne, échange de savoirs et éducation permanente « universitaire »

Faisons le point. Contrairement à ce que certaines idées reçues véhiculent, l’université n’est pas qu’un lieu de création et de transmission ex cathedra de connaissances savantes : elle a pour mission aussi de développer des compétences citoyennes, d’éveiller aux réalités sociales locales et globales, et d’inciter à découvrir les expériences vécues du « monde des non-universitaires ». Et c’est précisément une des missions des ONG universitaires de contribuer à cette dimension citoyenne et solidaire de l’éducation universitaire. En ce sens, l’éducation permanente a naturellement une place à trouver dans les activités de ces ONG, du fait que, par exemple, elle favorise les rencontres et échanges avec le milieu associatif et les communautés « populaires » des régions qui accueillent les campus. Le croisement des mondes « universitaire » et « associatif » recèle une grande richesse potentielle pour développer notre travail en ONG, le milieu associatif possédant une sérieuse expertise et une grande assise d’expériences dans les thématiques que nous abordons.

De plus, l’enquête réalisée auprès des membres des universités et de leurs ONG, dont il a été question ci-dessus, a montré que le partage et la gestion des savoirs est considérée comme une mission prioritaire pour ces ONG. Bien sûr, le partage et la gestion des savoirs renvoient à la production scientifique et à sa diffusion, mais pas seulement. Ce dont il est question aussi, et de manière importante, est la rencontre et l’échange entre savoir « populaire » et savoir scientifique et savant. L’idée de « co-construction de savoirs » avec et pour, par et avec les publics et communautés bénéficiaires des activités des ONG est centrale dans la philosophie de celles-ci. L’inscription des processus d’éducation permanente dans les activités des ONG universitaires est non seulement possible et raisonnable, mais souhaitable en ce qu’elle contribue à ce que celles-ci remplissent leur mission.

Il serait cependant naïf de penser que l’articulation entre la logique d’intervention des ONG universitaires et la logique de l’éducation permanente soit chose simple à réaliser. Les raisons d’être, les méthodologies, les publics cibles [7]Notons que le public étudiant a des caractéristiques socio-économiques et culturelles qui peuvent être très différentes. Même si l’EP ne peut prendre place au sein d’un cursus, elle peut prendre en compte le public étudiant dans sa diversité et travailler l’émancipation citoyenne à … Continuer de lire sont significativement différents dans les deux approches. Se pose alors la question de comment faire de l’éducation permanente « universitaire » ? Cette question donnera lieu à des analyses à venir qui expliqueront les projets que la FUCID met en œuvre dans une optique universitaire et d’éducation permanente [8]Mais voir aussi l’analyse publiée en mars 2020 : Beaulieu, S. (2000), « Education populaire/permanente et ONG universitaire : un pari osé ? », FUCID, analyse n°4, en ligne : https://www.fucid.be/education-populaire-permanente-et-ong-universitaire-un-pari-ose/. Pour l’exemple, et pour conclure, contentons-nous de citer ici le projet « migration » qui a conduit des étudiants de l’UNamur à aller rencontrer des associations, collectifs et citoyen·ne·s de Nice, Menton et Vintimille s’investissant pour les migrants à la frontière franco-italienne. De retour, les participants au projet (des étudiants de la Haute École Provinciale de Namur et de l’UNamur ainsi que des apprenants FLE (Français Langue Étrangère)) ont également rencontré des associations namuroises d’aide aux migrants et ont commencé à travailler à la construction d’une parole critique et collective sous la forme d’une création artistique autour des questions liées aux migrations (activité arrêtée momentanément en raison de la crise du Covid-19) – par ailleurs, un participant a écrit une analyse sur son expérience [9]Pasanisi, M. (2020) « Le Bar de l’Humanité », FUCID, analyse n°2, en ligne : https://www.fucid.be/bar-humanite/.. Voilà bien un projet « universitaire » qui se développe selon le processus de l’éducation permanente.

Références

Références
1 « L’enjeu de l’éducation populaire aujourd’hui, au niveau local et mondial, est de permettre aux citoyens et citoyennes d’articuler trois repères, à savoir, l’expérience vécue, l’apprentissage lié à cette expérience et les rapports de pouvoir dont ils/elles sont victimes. » (Hansotte, M. (2013), Mettre en œuvre les intelligences citoyennes – une méthodologie de Majo Hansotte, Le Monde selon les femmes, Bruxelles.)
2 Notons que l’espace d’activité de la FUCID ne se limite pas au campus de l’Université de Namur, mais inclut les Hautes Ecoles de la ville de Namur.
3 « Vision et Mission de l’association sans but lucratif “Forum Universitaire pour la Coopération Internationale au développement” », Décembre 2014. Voir : https://www.fucid.be/vision-et-mission-de-la-fucid/, consulté le 26 mai 2020.
4 Depuis 2016, le consortium Uni4Coop réunit les quatre ONG universitaires francophones belges (Eclosio pour l’ULiège, la FUCID pour l’UNamur, Louvain Coopération pour l’UCLouvain et ULB-coopération pour l’ULB).
5 Le chantier s’est tenu d’octobre 2019 à avril 2020 et a été mené par un groupe de pilotage composé de membres des équipes des quatre ONG.
6 Je choisis librement quelques-unes des qualifications exprimées qui rendent compte du sens des quatre « bannières » ; ce compte-rendu n’est bien évidemment pas exhaustif. La source est un document de travail interne, non publié.
7 Notons que le public étudiant a des caractéristiques socio-économiques et culturelles qui peuvent être très différentes. Même si l’EP ne peut prendre place au sein d’un cursus, elle peut prendre en compte le public étudiant dans sa diversité et travailler l’émancipation citoyenne à partir de thématiques qui font sens pour lui non pas tellement en tant qu’étudiant mais, plus globalement, en tant que citoyen.
8 Mais voir aussi l’analyse publiée en mars 2020 : Beaulieu, S. (2000), « Education populaire/permanente et ONG universitaire : un pari osé ? », FUCID, analyse n°4, en ligne : https://www.fucid.be/education-populaire-permanente-et-ong-universitaire-un-pari-ose/
9 Pasanisi, M. (2020) « Le Bar de l’Humanité », FUCID, analyse n°2, en ligne : https://www.fucid.be/bar-humanite/.

L'analyse en PDF

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