Enseignement supérieur : lieu de reproduction des dominations

Alix Buron
Chargée de projets à la FUCID

S’il est de plus en plus admis aujourd’hui que les rapports de domination et d’oppression[1]Nous entendons par « rapports de domination » les rapports de force et d’oppression entre groupes sociaux où un groupe social s’approprie le temps, le travail, le corps... d’un autre. Il nous faut insister sur l’aspect collectif : il y a certes des comportements individuels … Continuer de lire structurent la société, entre sexisme, racisme, classisme… certains lieux peuvent donner à croire qu’ils en sont exempts. Le monde de l’éducation, pendant longtemps, a bénéficié de cet a priori. Plus encore, l’enseignement est considéré comme l’une des clés principales pour résoudre le problème. Pourtant, de récents scandales et enquêtes ont montré que, malgré ses principes d’égalité, d’intégrité et d’éthique, l’espace universitaire est loin d’être épargné par les violences de tout ordre.

En 2019, l’affaire « dentisterie » éclate à l’ULB : de nombreux étudiant·e·s ou diplômé·e·s témoignent de pratiques de harcèlement physique et moral menées par des enseignants et assistants en dentisterie (La Libre, 2019). Les témoignages révèlent des coups, humiliations, remarques sexistes et racistes. Deux enseignants sont suspendus. Début 2021, des hashtags comme #balancetonfolklore ou #folklorecomplice inondent les réseaux sociaux, mettant en lumière les violences et la culture du viol au sein des communautés folkloriques estudiantines. En 2022, une carte blanche, signée par une centaine d’académiques, dénonce les violences sexistes dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur[2]Vous pouvez la découvrir via ce lien : https://www.rtbf.be/article/dans-l-enseignement-superieur-ce-sexisme-toujours-ordinaire-10931743. L’année suivante, sort le « rapport Tulkens », un document de plus de 200 pages qui analyse les failles de l’UClouvain dans son dispositif de lutte contre le harcèlement et les violences de genre. Le résultat est accablant – le reflet, sans doute, de ce qui se déroule dans les enceintes de nombre d’institutions d’enseignement supérieur en Belgique.  

Sigles SS ou affichages d’extrême-droite aperçus sur les campus, tracts néonazis, scandales sur des piqûres et drogues glissées dans des verres d’étudiantes en soirées, d’AirTag[3]Capteur qui sert à localiser ses propres objets, rapidement détourné par des personnes mal intentionnées pour suivre des femmes qui rentrent chez elles après une soirée. planqués dans leur sac,… les scandales font régulièrement surface. À côté des quelques cas médiatisés, peu d’études permettant de mesurer l’ampleur du phénomène ont été menées en Belgique. Néanmoins, toutes mettent en évidence la réalité massive des violences au sein des institutions d’enseignement supérieur.

Des violences à tous les niveaux

Selon les Nations Unies, entre 2015 et 2022, la proportion de la population mondiale ayant accès à une eau potable gérée en toute sécurité serait passée de 69% à 73% : 5,8 milliards de personnes disposeraient ainsi d’une eau du robinet qui – en principe – n’est pas contaminée, au moins douze heures par jour. Si cette évolution peut, en première lecture, sembler positive, cela signifie toutefois que 27% de la population mondiale, soit plus de deux milliards d’individus n’y ont pas accès, avec un impact important sur la mortalité, notamment infantile.

L’absence d’accès à l’eau potable concerne aussi les pays riches (13 millions de personnes en Europe et Amérique du Nord), notamment les sans-abris, habitant·e·s des bidonvilles ou personnes vivant en habitat mobile, comme les gens du voyage. Pourquoi ce déficit d’accès à une eau potable de qualité dans certains États, régions ou communautés ? Les raisons sont nombreuses : penchons-nous sur les plus évidentes.

Une étude de 2022 (Perez) montrait ainsi que 48% des étudiant·e·s afrodescendant·e·s déclaraient avoir au moins été discriminé·e·s une fois[4]Le seul chiffre trouvé pour la Belgique (Conférence : « L'extrême droite et le racisme dans le milieu universitaire », 18 décembre 2023). Il y a plus d’études françaises. Ainsi, selon une enquête de l’Union nationale des étudiants de France datant de 2019, « plus de quatre étudiants … Continuer de lire. Une autre enquête menée au sein de l’UCLouvain a quant à elle pointé qu’une étudiante sur cinq avait déjà été victime de viol dans le cadre d’activités estudiantines (Helleff, 2024). Les personnes issues de la communauté LGBTQIA+ étaient d’ailleurs deux fois plus à risque de subir une agression sexuelle. La plus grande enquête réalisée en Belgique francophone, la recherche Behaves, rendue publique en 2024, faisait elle aussi état de l’étendue du problème. Ainsi, depuis leur arrivée dans l’enseignement supérieur, 56% des étudiant·e·s, doctorant·e·s et membres du personnel rapportaient avoir été victimes de harcèlement moral de la part d’une autre personne de leur établissement ; 29,7% de violences sexistes et sexuelles et 8,4% de violences ou de cyberviolences[5]Le résumé de cette étude ici : http://enseignement.be/public/docs/behaves-resume-2024.pdf. Nombreuses sont les victimes qui préfèrent se taire, que ce soit car les faits sont banalisés (ce sont des « violences ordinaires »), par honte ou par crainte d’être rendu·e·s responsables des faits.

56%  des étudiant·e·s, doctorant·e·s et membres du personnel ont été victimes de harcèlement moral de la part d’une autre personne de leur établissement ; 29,7% de violences sexistes et sexuelles.

Si ces violences peuvent se produire à plusieurs niveaux (entre étudiant·e·s, entre membres du personnel, ou encore entre professeur·e·s et étudiant·e·s), c’est souvent sur les rapports entre étudiant·e·s que se focalisent les enquêtes et les instances universitaires. L’alcool y est souvent mis en cause. De fait, la majorité des agressions qui ont lieu dans ce cadre implique une consommation d’alcool, mais l’ivresse n’excuse en rien les agresseurs[6]Si les auteurs de harcèlement moral sont à la fois des hommes et des femmes, les auteurs de violences sexistes et sexuelles sont majoritairement des hommes, et ce y compris quand la victime est un homme. Nous employons donc par défaut le masculin.. Benoît Galand, l’un des coordinateurs de l’enquête sur UCLouvain, pointe donc plutôt le problème de la culture du viol (le viol est minimisé, mal sanctionné, les victimes sont rendues coupables de leur agression…) et le besoin de sensibilisation, de prévention et de supervision, sans stigmatiser les personnes qui font la fête (Helleff, 2024).

Les rapports entre professeur·e·s et étudiant·e·s ont eux aussi été scrutés par l’étude Behaves : 42% des étudiant·e·s victimes de harcèlement moral rapportent en effet que l’auteur·e était enseignant·e ; de même que 15% des victimes de harcèlement sexiste et 12,5% des victimes de coercition sexuelle. Les rapports entre membres du personnel sont eux aussi étudiés : car si les étudiant·e·s sont plus à risque de subir des violences que les membres du personnel, ces derniers sont plus touchés par le harcèlement moral, particulièrement les doctorant·e·s : deux tiers d’entre eux en auraient été victimes. Un·e doctorant·e sur quatre et plus d’une personne membre du personnel sur cinq rapportent également avoir été victimes de harcèlement sexiste. Ici, les auteurs de violence sont généralement d’autres membres du personnel, et plutôt des supérieurs.

Des actes qui peuvent avoir des conséquences importantes sur le parcours académique ou professionnel des victimes : la peur d’aller en cours ou sur son lieu de travail, qui peut aller jusqu’à un abandon des études ou de l’emploi, la difficulté de concentration, les doutes sur ses capacités académiques, les symptômes dépressifs ou anxieux, la consommation accrue de médicaments, et ce même parfois si l’incident peut paraître « banal », ou « isolé », que la victime elle-même peut avoir tendance à minimiser.

De simples « dérapages »… ?

En 2022, le Tribunal du Travail du Brabant Wallon écoutait pour la première fois une université francophone dans le cadre d’un dossier de violence et de harcèlement au travail. Une professeure y dénonçait un climat de violence vieux de plusieurs années, dont elle était victime sans que l’UCLouvain ne montre un intérêt d’y mettre un terme, malgré ses demandes. Pour l’institution, en effet, il ne s’agissait pas d’un cas de violence « réelle », mais de ressentis de la part de la professeure. De plus, l’université considérait qu’il s’agissait d’un conflit interpersonnel, dont elle n’était pas responsable en tant qu’employeur[7]Pour en savoir plus sur cette affaire : https://www.axellemag.be/violences-de-genre-a-l-uclouvain/.

Cette vision des choses est largement en opposition avec le témoignage de nombreux membres du personnel et l’analyse de plusieurs académiques travaillant sur les dynamiques hiérarchiques du monde de l’enseignement supérieur. Ainsi, pour la chercheuse Nathalie Grandjean, le contexte académique favorise clairement le harcèlement sexuel et moral : « Les universités sont un vieux monde traversé par deux logiques. Tout d’abord, la logique des mandarins avec des professeurs qui ont beaucoup de prestige et de pouvoir sur leurs assistants. Ensuite, la logique néolibérale poussée fortement ces cinquante dernières années. C’est très compliqué de devenir académique. Il y a énormément de candidats et c’est comme un concours avec une course au rendement. C’est dans cette combinaison de logiques que se cristallisent les rapports de pouvoir et de prédation. » (Ernens, 2022)

Les doctorant·e·s, au carrefour de nombreuses relations de pouvoir, de dépendance et d’exploitation, sont ainsi particulièrement à risque, et craignent souvent de s’opposer aux violences par peur des représailles : être privé d’un voyage, d’une lettre de recommandation, voir leur travail non reconnu, etc. Une peur également ancrée chez les personnes en début de carrière et son lot de contrats précaires, temporaires, qui dépendent de recommandations d’autres académiques pour progresser (Montay, 2023). Quant aux personnes minorisées, de même que les chercheur·euse·s de pays du Sud global, ils et elles sont particulièrement à risque de voir leur travail dévalorisé… ou utilisé, sans voir apparaître la paternité de leurs idées (Dutoya et al., 2019).

De fait, au sein des universités, « les positions les plus prestigieuses restent majoritairement occupées par des hommes, des personnes cisgenres, hétérosexuelles, blanches, souvent issues des classes supérieures » (Idem). Le rapport Tulkens indiquait ainsi, pour les années 2019-2020, une proportion de 78% d’hommes directeurs de recherche et 82% de professeurs ordinaires (de grade supérieur) masculins au sein de l’UCLouvain. Les hommes y sont également majoritaires dans les organes de décision. À l’Université de Namur, le rapport genre 2020-2021 s’interrogeait lui aussi sur ses biais de recrutement, en rapportant une surreprésentation masculine au sein des chargés de cours (69%) et dans les instances dirigeantes (66%) (Wattier et al.).

Cette logique de surreprésentation masculine dans la ligne hiérarchique et au sein des agresseurs, face à des femmes en position hiérarchique plus faible, liée à un fort esprit de compétition, s’insinue aussi dans les relations entre professeurs et étudiant·e·s. Un reportage d’Axelle Magazine à l’Université de Liège mettait ainsi en évidence l’existence d’un « bastion patriarcal » constitué d’une majorité de professeurs masculins, parfois en couple avec leurs étudiantes, ayant un pouvoir sur leur réussite académique et enseignant des savoirs très situés… Une étudiante témoignait alors : « Tous nos profs ou presque sont des hommes. Nous entendons des propos sexistes régulièrement, nous n’étudions que des hommes en cours ou presque. Nous apprenons même, dans certains cours, des théories masculinistes… Aucun·e théoricien·ne noir·e ou racisé·e n’est enseigné·e, ou presque. (…) Lors des cours, on constate aussi que les garçons ont beaucoup plus de temps de parole que les femmes, il n’y a rien qui est concrètement mis en place pour l’éviter. » (Warland, 2022).

L’étude Behaves pointe elle aussi combien les étudiant·e·s dépendent des enseignant·e·s pour assurer leur réussite scolaire, de même que la peur des représailles : « les victimes se sentent impuissantes et démunies face à l’auteur·e, perçu·e comme tout·e-puissant·e et protégé·e par son statut dans l’établissement. » (2024, p.27)

Il ne s'agit pas que d’une suite de dérapages causés par quelques « pommes pourries ». Ils répondent à une culture institutionnelle.

Finalement, si l’on descend d’un cran pour explorer les relations entre étudiant·e·s, les effets hiérarchiques sont moindres, mais se conjuguent malgré tout des processus d’effet de groupe, d’abus de pouvoir et de protection entre pairs. Des étudiant·e·s de l’Université Libre de Bruxelles ont ainsi témoigné sur le fonctionnement de leur cercle : « Il y a cette idée que ce sont tes potes et qu’il faut les protéger. C’est un monde très opaque et je pense que même pour les autorités de l’ULB, il est difficile de mettre son nez là-dedans ! Il y a un effet de groupe, des relations de pouvoir. » (Wernaers, 2022) Quand on sait que les femmes membres d’un cercle, d’une régionale ou d’un kot à projet sont dix fois plus à risque de subir un viol que le reste des étudiantes, cela a de quoi inquiéter.

Un problème structurel

L’étendue du phénomène montre bien qu’il ne s’agit pas que d’une suite de dérapages causés par quelques « pommes pourries », d’actes racistes ou sexistes comme relevant uniquement d’agissements individuels et isolés. Ils répondent à une culture institutionnelle. L’étude Behaves le montre bien : quel que soit le statut au sein de l’établissement, les victimes sont majoritairement des femmes et des personnes membres de la communauté LGBTQIA+ et les auteurs principalement des hommes, souvent forts de leur position hiérarchique. De plus, les personnes au statut précaire, non-blanches ou porteuses de handicap présentent des risques accrus de harcèlements et de violences.

Parler uniquement de préjugés, d’actes isolés, évacue les dimensions de rapports sociaux, bien présents au sein de l’enseignement supérieur – comme, d’ailleurs, dans le reste de la société. Selon les chercheurs Fabrice Dhume et Marguerite Cognet, ces qualifications « font écran à la reconnaissance des processus de lutte des places dans la société, en masquant l’existence objective de privilèges pour certains groupes sociaux (‘‘blancs’’, ‘‘bourgeois’’, ‘‘hommes’’) (…) Ils évitent ainsi de poser la question de la manière dont les normes institutionnelles de l’enseignement scolaire et universitaire incorporent, entretiennent et naturalisent ces normativités – ainsi que l’avaient montré avec force P. Bourdieu et J.-C. Passeron (1970) pour la classe sociale[8]Par rapport à la population belge, le public universitaire est très homogène, sélectionné au fil du parcours scolaire. Il existe un lien fort entre statut social et réussite scolaire. Lorsque la mère a un diplôme supérieur, son enfant a en effet 10 fois plus de probabilité d’accéder au … Continuer de lire. » (2022) En d’autres mots, tandis que les personnes les plus privilégiées font en sorte de maintenir (in)consciemment leur position à travers la perpétuation des normes sexistes, classistes ou racistes, le système éducatif lui-même se retrouve à la fois lieu de réflexion/expression de valeurs progressistes et lieu de reproduction des inégalités, malgré son discours méritocratique.

Et, face à cela, une partie des membres des institutions ferment les yeux. Le professeur Jean-Pascal van Ypersele, qui a recueilli le témoignage de nombreuses victimes d’abus à l’UCLouvain, dépeint ainsi dans une note un « climat de harcèlement toléré » : « Les autorités de l’UCLouvain, souvent bien au courant des situations “problématiques”, agissent trop peu, et considèrent à tort que les problèmes sont “résolus” quand les personnes harcelées ont été éloignées de leur harceleur ou ont quitté l’université, volontairement ou non. Cette attitude permet aux harceleurs restés en place, non sanctionnés, de continuer à sévir, et cela contribue à donner à l’UCLouvain la réputation d’une université qui n’ose pas affronter sérieusement les problèmes dans ce domaine. » (Joie, 2023) Et si les autres universités n’ont pas dû faire face à un tel battage médiatique, on peine à douter que les dynamiques y soient fondamentalement différentes.

Faire face

« Une secrétaire harcelée par le doyen d’une faculté alerte le recteur, qui ne bouge pas. Une doctorante harcelée par son supérieur alerte son président d’institut, qui ne bouge pas. Une post-doctorante, dont un supérieur volait les idées et les publiait sous son nom, signale la situation. Elle est écartée, il reste en place. Une étudiante reçoit des commentaires à tendance sexuelle d’un professeur, toujours en place. » témoigne Jean-Pascal van Ypersele (Idem).

Ces exemples font partie de la minorité de faits de violence qui sont dévoilés auprès des autorités, des référents harcèlement / personnes de confiance ou même de la police. Les raisons de ces silences sont nombreuses : peur des représailles, banalisation des violences, processus de signalement mal connus… Mais aussi la crainte de ne pas être cru·e ou que l’établissement ne réagira pas (Behaves, 2024). Les établissements, de leur côté, se disent favorables à un cadre pour lutter contre le harcèlement, mais, dans les faits, beaucoup de référent·e·s harcèlement se déclarent démunis face à cet enjeu, s’estimant manquer de ressources, de temps et de compétences.

De plus, si les travailleurs sont a priori protégés dans le cadre de la loi bien-être, qui impose une responsabilité à l’employeur (mais en pratique, comme on l’a vu, difficile à exploiter), les doctorant·e·s ont souvent un statut professionnel flou, et les étudiant·e·s ne disposent que peu d’outils à leur disposition, si ce n’est un cadre légal plus large, en dehors de l’université. Pourtant, l’étude Behaves montre bien que la majorité des faits de harcèlement et de violence envers des étudiant·e·s se situent dans le cadre de l’enseignement ou lors d’un moment festif en lien avec l’université (locaux prêtés, fêtes de cercles, baptêmes, kots, etc.). Comment, alors, établir les limites de la responsabilité de l’institution, qui essaye aussi bien d’accompagner les cas de harcèlement que de protéger sa propre réputation ? Les cellules d’accompagnement contre le harcèlement pour les étudiant·e·s, présentes dans chaque institution, jonglent ainsi avec la crainte d’accuser quiconque, de plaintes en diffamation, et une forme de neutralité qui implique d’accompagner et de protéger aussi bien victime qu’agresseur. Ce qui entame la confiance des étudiant·e·s : « Si tu es violée, est-ce que tu vas faire confiance à la même cellule que celle qui va prendre en charge ton violeur ? » (Wernaers, 2022)

Face à cela, de nombreuses pistes de solutions ressortent des enquêtes et cartes blanches : des règlements clairs, transparents sur la démarche, un cadre légal propre aux étudiant·e·s, des lieux d’accueil externes et neutres pour accompagner les victimes, et ce également d’un point de vue juridique, la possibilité de rapporter une situation vécue de manière anonyme, une procédure de dépôt de plainte simplifiée, des formations à tous les niveaux et, surtout, des sanctions envers les personnes coupables.

Le droit à un enseignement sûr

Face aux derniers scandales et enquêtes, Françoise Bertieaux (MR) Ministre francophone de l'Enseignement supérieur, a déclaré en février 2024 être contre la mise en place d’un cadre légal spécifique dans l’enseignement supérieur francophone : « Ce serait considérer les campus comme des ghettos (…) Nos établissements supérieurs ne sont pas des commissariats de police ou des tribunaux ! Je refuse d’enfermer les étudiants dans des bulles où ils ne prendraient pas part à la société. » (RTBF) Pour elle, la sensibilisation et l’éducation doivent primer. Pourtant, si ces violences sont en effet le reflet des discriminations que l’on peut trouver plus largement dans la société, l’espace universitaire y associe également des logiques qui lui sont propres de division hiérarchique, de concurrence et de dépendance, de même qu’une culture de l’excellence qui évacue l’émotionnel et décrédibilise les ressentis des victimes (Ernens, 2022).

D’autres questions, encore, se posent : comment faire un travail d’éducation adéquat si l’environnement lui-même n’est pas sûr ? Comment permettre à une élève de se former si elle doit voir chaque jour son agresseur dans un auditoire ? Pourquoi un fait de plagiat ou de triche peut-il valoir une exclusion de l’établissement, et pas un viol ? Quelles devraient-être les étendues et limites des responsabilités et des pouvoirs des institutions face à des violences se déroulant en leur sein – et peut-être même en dehors ? Devraient-elles sanctionner systématiquement une personne condamnée par ailleurs par un tribunal[9]Mais alors, citons ici le cas d’un étudiant en médecine, condamné à cinq ans de prison avec sursis pour agressions sexuelles sur des camarades : alors que le centre hospitalier universitaire a voulu exclure l’étudiant de son stage obligatoire, le tribunal administratif de la ville a … Continuer de lire ? Devraient-elles, à travers une forme de comité externe et indépendant, sanctionner les agresseurs que les victimes n’ont pas eu le courage ou la possibilité de poursuivre en justice ? La complexité de ces questions ne doit pas empêcher qu’elles soient enfin débattues.

Dans tous les cas, deux changements s’imposent : celui de la culture institutionnelle, de même que la fin de l’impunité des agresseurs – et si la parole se libère en ce qui concerne les violences sexistes et sexuelles, un immense chantier attend encore la prise en compte des actes racistes. Les bonnes volontés au sein des institutions sont nombreuses. Aux instances dirigeantes des établissements de leur donner les moyens de lutter, mais aussi d’entamer leur propre auto-critique, aussi difficile soit-elle, pour mettre fin à la comédie de l’individualisation du problème, transformer les rapports de pouvoir en leur sein et réfléchir à la façon dont elles peuvent répondre à la demande principale des victimes : que les agresseurs soient sanctionnés.

Références

Références
1 Nous entendons par « rapports de domination » les rapports de force et d’oppression entre groupes sociaux où un groupe social s’approprie le temps, le travail, le corps... d’un autre. Il nous faut insister sur l’aspect collectif : il y a certes des comportements individuels déplacés/sexistes/racistes, mais surtout un système qui avantage un groupe social par rapport à un autre.
2 Vous pouvez la découvrir via ce lien : https://www.rtbf.be/article/dans-l-enseignement-superieur-ce-sexisme-toujours-ordinaire-10931743
3 Capteur qui sert à localiser ses propres objets, rapidement détourné par des personnes mal intentionnées pour suivre des femmes qui rentrent chez elles après une soirée.
4 Le seul chiffre trouvé pour la Belgique (Conférence : « L'extrême droite et le racisme dans le milieu universitaire », 18 décembre 2023). Il y a plus d’études françaises. Ainsi, selon une enquête de l’Union nationale des étudiants de France datant de 2019, « plus de quatre étudiants sur dix perçus comme non blancs ont été victimes de racisme dans le cadre de leurs études. Pour un quart d’entre eux, cela émanait d’un enseignant » (Hullot-Guiot).
5 Le résumé de cette étude ici : http://enseignement.be/public/docs/behaves-resume-2024.pdf
6 Si les auteurs de harcèlement moral sont à la fois des hommes et des femmes, les auteurs de violences sexistes et sexuelles sont majoritairement des hommes, et ce y compris quand la victime est un homme. Nous employons donc par défaut le masculin.
7 Pour en savoir plus sur cette affaire : https://www.axellemag.be/violences-de-genre-a-l-uclouvain/
8 Par rapport à la population belge, le public universitaire est très homogène, sélectionné au fil du parcours scolaire. Il existe un lien fort entre statut social et réussite scolaire. Lorsque la mère a un diplôme supérieur, son enfant a en effet 10 fois plus de probabilité d’accéder au diplôme supérieur que lorsque la mère dispose d’un diplôme tout au plus de l’école primaire. « Comme l’accès au diplôme constitue dans nos sociétés contemporaines un déterminant majeur du statut social, il en résulte une reproduction des statuts socio-économiques à travers les générations. » (Sahiti, 2021).
9 Mais alors, citons ici le cas d’un étudiant en médecine, condamné à cinq ans de prison avec sursis pour agressions sexuelles sur des camarades : alors que le centre hospitalier universitaire a voulu exclure l’étudiant de son stage obligatoire, le tribunal administratif de la ville a refusé l’exclusion car les faits de viol ont été commis dans des soirées étudiantes, donc en dehors de l’université et du centre hospitalier. La décision a offusqué de nombreux collectifs étudiants (Filliot et Jonquard, 2024).

Bibliographie

L'analyse en PDF

L'analyse est disponible en format PDF téléchargeable en cliquant ici.
Cet article est un avant-goût du prochain FOCUS de la FUCID, qui se consacrera à la question des inégalités face aux droits humains (sortie en automne 2024).